dimanche 16 février 2014

La dignité humaine (partie 3) : « dignité » vs « dignité humaine »

NB : Les opinions émises dans ce blog sont personnelles et celles-ci ne représentent pas le point de vue de mon employeur.

Introduction  
 
            Dans les parties 1 et 2, nous avons tenté d'établir la pertinence et l'importance du concept de dignité humaine. Il convient maintenant de distinguer et de définir les concepts de « dignité » et de « dignité humaine »[1].

Définition des concepts de « dignité » et de « dignité humaine »  
  
            Le terme « dignité » n'est pas exclusivement applicable à l'être humain et peut être employé pour qualifier des animaux, des plantes et même des objets inanimés[2]. Par exemple, en Suisse, l'art.120 para.2 de la Constitution fédérale de la Confédération Suisse réfère à la dignité des organismes vivants[3]. Le présent texte porte exclusivement sur la « dignité humaine ».

            Le terme « dignité humaine » se distingue de l'usage général que l'on fait de nos jours du terme « dignité » lorsque l'on réfère, par exemple, à la dignité d'une fonction[4]. Il se distingue également du terme « dignité » employé dans l'Antiquité.

La « dignité »

            Le terme « dignité » existe depuis l'Antiquité gréco-romaine[5]. Il vient des mots latins dignus et dignitas qui signifient « digne d'honneur et d'estime »[6]. Il référait, dans l'Antiquité, au  rang, à la hiérarchie, au statut social, à la charge ou à la fonction occupée, à un titre, à l'excellence et au pouvoir[7]. La « dignité » impliquait donc l'admiration, l'excellence et la distinction[8]. Par conséquent, seuls certains individus, qui avaient les qualités, les mérites ou les aptitudes recherchées, la possédaient[9]. Elle opérait des distinctions entre les individus et c'est pourquoi, dans l'Antiquité grecque[10] et romaine[11], tous les êtres humains n'étaient pas égaux devant la loi. En effet, pour une même infraction à la loi romaine, il n'existait pas, selon Teresa Iglesias, de peine uniforme pour tous les contrevenants. La sévérité de la peine était déterminée en fonction de la « dignitas » du contrevenant[12]. En ce sens, la « dignité » de l'Antiquité n'était donc pas compatible avec les idéaux démocratiques d'égalité, de liberté et de tolérance[13]

             En effet, une société démocratique où tous les êtres humains sont égaux en droit et devant la loi est contraire à la conception de la société que se faisait le philosophe de l'Antiquité grecque Aristote (384 av. J.-C. - 322 av. J.-C.) qui fondait la société sur des rapports inégalitaires et hiérarchiques[14]. Mette Lebech explique :
« A society in which everyone would be equal according to a basic degree of dignity by virtue of their shared humanity, would be contrary to Aristotle's understanding of society » (nos soulignés)[15]
Selon Aristote, tous les hommes ne sont pas nés égaux. Il existe, selon lui, des inégalités naturelles entre les hommes. Certains sont nés pour commander, d'autres pour obéir[16]. Selon lui, l'égalité signifiait un traitement égal pour des personnes égales et un traitement inégal pour des personnes inégales[17]. Dans sa conception de la justice, il considérait donc qu'il était juste, pour une même infraction, qu'un esclave reçoive une peine plus sévère qu'un homme libre. Il affirme :
« Ce n'est pas juste en effet pour un domestique par rapport à un homme libre ; car si le domestique frappe l'homme libre, il n'est pas juste qu'il reçoive le même nombre de coups, mais il doit en recevoir plus »[18].
Aristote conseilla également à Alexandre le Grand de traiter les Grecs comme des égaux et des membres de la famille et les barbares comme des inégaux et des animaux[19]. Dans sa conception de l'État, Aristote réservait les meilleures choses à une minorité et traitait la majorité des individus comme de simples moyens au service de cette minorité. Bertrand Russell explique :
« It is held that what is best is essentially only for the few, magnanimous men and philosophers. Most men, it would seem to follow, are mainly means for the production of a few rulers and sages[20] (...) Can we regard as morally satisfactory a community which, by its essential constitution, confines the best things to a few, and requires the majority to be content with the second-best ? Plato and Aristotle say yes, and Nietzsche agrees with them. Stoics, Christians, and democrats say no » (nos soulignés)[21].
Aristote approuvait d'ailleurs l'esclavage qu'il considérait à la fois comme indispensable et avantageux[22]. Il affirmait :
« Il faut examiner (...) s'il est meilleur et juste pour quelqu'un d'être esclave, ou si cela ne l'est pas, tout esclavage étant contre nature. Or le problème n'est pas difficile, la raison le montre aussi bien que les faits l'enseignent. Car commander et être commandé font partie non seulement des choses indispensables, mais aussi des choses avantageuses » (nos soulignés)[23].
Jean-Jacques Rousseau disait :
« Aristote (...) dit aussi que les hommes ne sont point naturellement égaux, mais que les uns naissent pour l'esclavage et les autres pour la domination » (nos soulignés)[24].
Selon Bernard Williams, Aristote jugeait l'esclavage non seulement nécessaire, mais également justifiable éthiquement. Williams affirme :
« Aristotle's argument is an ex post attempt to justify a somewhat modified version of slavery, Greek slavery. Now, it's not irrelevant that the arguments are terrible. Even by the going standards, they were terrible arguments. The fact they're terrible is connected with the fact that they are a manifest rationalization of something that already exists, and the best argument he can think of is that one simply fails to fit the practice (…) Aristotle's account is absolute sheer humbug, it's rubbish. It's an attempt to turn into a form of reason what is in fact an argument that is based upon the functionality of violence for a certain way of life (...) I think I'm quoting Nietzsche, more or less, when I say that there is actually one thing worse than slavery which is to think slavery is justified. To try to justify it actually makes it worse, because you add to the violence of slavery the humbug of pretending that it isn't based on violence » (nos soulignés)[25].
Or comme l'affirmait si éloquemment Abraham Lincoln, l'esclavage est profondément antidémocratique :
« As I would not be a slave, so I would not be a master. This expresses my idea of democracy. Whatever, differs from this, to the extent of the difference, is no democracy » (nos soulignés)[26].
Aristote approuvait également la subordination des femmes[27]. En somme, Charles Taylor résume :
« Nous avons trop conscience qu'il a existé et qu'il existe des sociétés et des modes d'échange social qui sont corrompus ou incompatibles avec la justice et la dignité humaine. Et nous ne sommes guère encouragés à suivre la voie aristotélicienne, si nous nous souvenons que le Staginite lui-même a justifié l'esclavage pour ne rien dire de la subordination des femmes » (nos soulignés)[28].

La « dignité humaine »

            Les expressions « dignité humaine » et  « dignité de l'homme » ont, en revanche, une existence plus récente et furent utilisées pour la première fois à l'époque des lumières il y a moins de deux cents ans[29] lorsque l'idée de loi naturelle fut formulée en droit subjectif (droit naturel)[30]. Néanmoins, l'idée même de « dignité humaine » (qui préexiste l'usage du terme) a une existence plus ancienne qui remonte à la philosophie stoïcienne[31].

            Par opposition à la « dignité » de l'Antiquité, la « dignité humaine » est caractéristique de tous les êtres humains et commande, par conséquent, une application universelle et inconditionnelle indépendante de toute distinction fondée sur le statut social, la charge ou la fonction occupée, l'excellence et le pouvoir[32]. En ce sens, les notions de « dignité » et de « dignité humaine » sont antinomiques. La notion de « dignité » qui est l'apanage d'une minorité est aristocratique[33] alors que la notion de « dignité humaine » qui est universelle et intrinsèque à tous les êtres humains est démocratique[34]. Herbert Spiegelberg explique :
« Human dignity is a very different matter. It implies the very denial of an aristocratic order of dignities. For it refers to the minimum dignity which belongs to every human being qua human. It does not admit of any degrees. It is equal for all humans. It cannot be gained or lost. In this respect human dignity as a species of dignity differs fundamentally from the genus » [nos soulignés][35].

 Éric Folot, avocat et bioéthicien

NB : Aristote reconnaissait lui-même qu'il existait à son épôque des grands penseurs qui étaient d'avis que l'esclavage "n'est pas juste", "repose sur la force", que "le pouvoir du maître est contre nature" et que "c'est par convention que l'un est esclave et l'autre libre".
Source : Aristote, Les politiques, trad. par Pierre Pellegrin, 2e éd., Paris, Flammarion, 1993 à la p.95 (I, 3, 1253b)

[1]           Thomas Hobbes soulignait l'importance en philosophie de définir les concepts employés : Thomas Hobbes, Léviathan, trad. par Gérard Mairet, Paris, Éditions Gallimard, 2000 aux pp.95, n.1, 104, 116.

[2]           Aurel Kolnai, « Dignity » (1976) 51:197 Philosophy 251 à la p.254. Voir également : Daryl Pullman, Human dignity and the foundations of liberalism, Doctoral thesis in philosophy unpublished, University of Waterloo, 1990 à la p.9 ; Anne Mette Maria Lebech, The identification of human dignity : hermeneutic, eidetic and constitutional analyses in the light of Edith Stein's phenomenology, Doctoral thesis in philosophy published, Katholieke Universiteit Leuven, 2005 à la p.9 ; George Kateb, Human Dignity, Cambridge, Harvard University Press, 2011 à la p.117 ; Canada, Comité consultatif canadien de la biotechnologie, Brevetabilité des formes de vie supérieures et enjeux connexes : Rapport adressé au Comité de coordination ministériel de la biotechnologie du Gouvernement du Canada, Ottawa, Comité consultatif canadien de la biotechnologie, juin 2002 à la p.11.

[3]           Federal Constitution of the Swiss Confederation (1998), en ligne : <http://www.admin.ch/ch/e/rs/c101.html>. Cette législation est conforme au préambule de la Charte mondiale de la nature (1982) : Charte mondiale de la nature, Rés. AG 37/7, Doc.Off. A.G.N.U., 37e sess., supp. n°49, Doc. NU A/37/7 (1982) 19 à la p.20. Elle est également conforme au préambule de la Convention sur la diversité biologique (1992) : Convention sur la diversité biologique (1992), en ligne : <http://www.cbd.int/convention/text/>. Pour une opinion favorable à l'extension du terme « dignité » aux plantes et aux animaux, voir Florianne Koechlin, « The dignity of plants » (2009) 4:1 Plant signaling & behavior 78 à la p.79 ; Shawn H.E. Harmon, « Of plants and people : why do we care about dignity ? » (2009) 10:9 European molecular biology organization reports 946 à la p.948. Pour une opinion défavorable, voir Simcha Lev-Yadun, « Bioethics : on the road to absurd land » (2008) 3:8 Plant signaling & behavior 612 à la p.612. Voir également Alison Abbott, « Swiss 'dignity' law is threat to plant biology » (2008) 452:7190 Nature 919 à la p.919.

[4]           Pour des exemples, voir : Immanuel Kant, The metaphysics of morals, trad. par Mary Gregor, Cambridge, Cambridge University Press, 1991 à la p.138 (au para.328) ; Blaise Pascal, Pensées, Paris, Librairie générale française, 1962 au para.206 (à la p.110) ; Yale Law School, The Avalon Project, « English Bill of Rights 1689 », en ligne : <http://avalon.law.yale.edu/17th_century/england.asp>.

[5]           Antoon de Baets, « A successful utopia : The doctrine of human dignity » (2007) 7 Historein: A Review of the Past and Other Stories (Athens) 71 à la p.71 ; Teresa Iglesias, « Bedrock truths and the dignity of the individual » (2001) 4:1 LOGOS 114 à la p.120 ; Adam Schulman, « Bioethics and the questions of human dignity » in The President's Council on Bioethics, Human Dignity and Bioethics, Washington DC, 2008 à la p.6.

[6]           Adam Schulman, « Bioethics and the questions of human dignity » in The President's Council on Bioethics, Human Dignity and Bioethics, Washington DC, 2008 à la p.6 ; Christopher McCrudden, « Human dignity and judicial interpretation of human rights » (2008) 19:4 E. J. I. L. 655 aux pp.656-657 ; Teresa Iglesias, « Bedrock truths and the dignity of the individual » (2001) 4:1 LOGOS 114 à la p.120.

[7]           Teresa Iglesias, « Bedrock truths and the dignity of the individual » (2001) 4:1 LOGOS 114 à la p.120.

[8]           Adam Schulman, « Bioethics and the questions of human dignity » in The President's Council on Bioethics, Human Dignity and Bioethics, Washington DC, 2008 à la p.6 ; Herbert Spiegelberg, « Human Dignity : A Challenge to contemporary philosophy » (1971) 9:1 World Futures 39 à la p.42.

[9]           Adam Schulman, « Bioethics and the questions of human dignity » in The President's Council on Bioethics, Human Dignity and Bioethics, Washington DC, 2008 à la p.7 ; Teresa Iglesias, « Bedrock truths and the dignity of the individual » (2001) 4:1 LOGOS 114 à la p.120.

[10]          Georg Friedrich Schömann, Antiquités grecques, trad. par C. Galuski, t.1, Paris, Alphonse Picard, 1884 à la p.207.

[11]          Teresa Iglesias, « Bedrock truths and the dignity of the individual » (2001) 4:1 LOGOS 114 aux pp.120-121.

[12]          Teresa Iglesias, « Bedrock truths and the dignity of the individual » (2001) 4:1 LOGOS 114 aux pp.120-121.

[13]         Adam Schulman, « Bioethics and the questions of human dignity » in The President's Council on Bioethics, Human Dignity and Bioethics, Washington DC, 2008 à la p.7 ; Anne Mette Maria Lebech, The identification of human dignity : hermeneutic, eidetic and constitutional analyses in the light of Edith Stein's phenomenology, Doctoral thesis in philosophy published, Katholieke Universiteit Leuven, 2005 à la p.28.

[14]          Pour Aristote, l'égalité signifiait un traitement égal pour des personnes égales et un traitement inégal pour des personnes inégales : Orlando Patterson, « Beyond Compassion : Selfish reasons for being unselfish » (2002) 131:1 Daedalus 26 à la p.27.

[15]         Anne Mette Maria Lebech, The identification of human dignity : hermeneutic, eidetic and constitutional analyses in the light of Edith Stein's phenomenology, Doctoral thesis in philosophy published, Katholieke Universiteit Leuven, 2005 à la p.28. Voir aussi Bertrand Russell, History of western philosophy, 2nd ed., New York, Routledge, 2004 aux pp.177 et 183.

[16]         Aristote, Les politiques, trad. par Pierre Pellegrin, 2e éd., Paris, Flammarion, 1993 aux pp.87 (I, 2, 1252a) et 99 (I, 5, 1254a) ; Thomas Hobbes, Léviathan, trad. par Gérard Mairet, Paris, Éditions Gallimard, 2000 à la p.261 ; Gaelle Fiasse, « Droit naturel, finalité, nature et esclavage chez Aristote » dans Louis-Léon Christians et al., éd., Droit naturel : relancer l'histoire ?, vol.2 de Collection Droit et Religion, Bruxelles, Bruylant, 2008 aux pp.144 et 146 ; Sir David Ross, Aristotle, 6e ed., London, Routledge, 1995 aux pp.253-254.

[17]         Orlando Patterson, « Beyond Compassion : Selfish reasons for being unselfish » (2002) 131:1 Daedalus 26 à la p.27.

[18]         Aristote, Les grands livres d'éthique (la grande morale), trad. par Catherine Dalimier, Paris, Arléa, 1992 à la p.115 (1194a).

[19]         Voir les propos du vice-président de la Cour internationale de justice, M. Ammoun : Opinion individuelle de M. Ammoun dans Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l'Afrique du Sud en Namibie (sud-ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, Avis consultatif, 1971 C.I.J. rec. 16 à la p.77, n.2.

[20]          Bertrand Russell, History of western philosophy, 2nd ed., New York, Routledge, 2004 à la p.177.

[21]          Bertrand Russell, History of western philosophy, 2nd ed., New York, Routledge, 2004 aux pp.171-172.

[22]          Aristote, Les politiques, trad. par Pierre Pellegrin, 2e éd., Paris, Flammarion, 1993 aux pp.99 et 102 (I, 5, 1254a) et (I, 5, 1254-b) ; Aristote, Éthique de Nicomaque, trad. par Jean Voilquin, Paris, Flammarion, 1992 à la p.249 (VIII, IX) ; Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, Paris, Éditions Flammarion, 1992 à la p.31 ; Sir David Ross, Aristotle, 6e ed., London, Routledge, 1995 à la p.253 ; Michael J. Sandel, Justice : What's the right thing to do ?, New York, Farrar, Straus and Giroux, 2009 aux pp.200 et 202 ; Gaelle Fiasse, « Droit naturel, finalité, nature et esclavage chez Aristote » dans Louis-Léon Christians et al., éd., Droit naturel : relancer l'histoire ?, vol.2 de Collection Droit et Religion, Bruxelles, Bruylant, 2008 à la p.153.

[23]          Aristote, Les politiques, trad. par Pierre Pellegrin, 2e éd., Paris, Flammarion, 1993 à la p.99 (I, 5, 1254a). Aristote qualifiait l'esclave « d'instrument vivant » (nos soulignés) : Aristote, Éthique de Nicomaque, trad. par Jean Voilquin, Paris, Flammarion, 1992 à la p.249 (VIII, IX).

[24]          Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social, Paris, Éditions Flammarion, 1992 à la p.31.

[25]          Bernard Williams, « Seminar with Bernard Williams » (1999) 6:3-4 Ethical Perspectives 243 aux pp.254-255, en ligne : http://www.ethical-perspectives.be/page.php?LAN=E&FILE=ep_detail&ID=24&TID=254

[26]         Mario Matthew Cuomo and Harold Holzer, Lincoln on Democracy, New York, Fordham University Press, 2004 à la p.xxxix.

[27]          Aristote, Les grands livres d'éthique (la grande morale), trad. par Catherine Dalimier, Paris, Arléa, 1992 à la p.117 ; Aristote, Les politiques, trad. par Pierre Pellegrin, 2e éd., Paris, Flammarion, 1993 aux pp.127 (I, 12, 1259-a), 128 (I, 12, 1259-b) et 131 (I, 13, 1260-a). Voir aussi Charles Taylor, Les sources du moi : la formation de l’identité moderne, trad. par Charlotte Melançon, Montréal, Les Éditions du Boréal, 1998 à la p.96 ; Michael J. Sandel, Justice : What's the right thing to do ?, New York, Farrar, Straus and Giroux, 2009 à la p.200 ; Anne Mette Maria Lebech, The identification of human dignity : hermeneutic, eidetic and constitutional analyses in the light of Edith Stein's phenomenology, Doctoral thesis in philosophy published, Katholieke Universiteit Leuven, 2005 à la p.27. Aristote condamnait également « les habitudes homosexuelles » : Aristote, Éthique de Nicomaque, trad. par Jean Voilquin, Paris, Flammarion, 1992 à la p.205 (VII, V). Il approuvait aussi l'avortement : Aristote, Les politiques, trad. par Pierre Pellegrin, 2e éd., Paris, Flammarion, 1993 à la p.508 (VII, 16, 1335-b). Et approuvait l'infanticide : Aristote, Les politiques, trad. par Pierre Pellegrin, 2e éd., Paris, Flammarion, 1993 à la p.507 (VII, 16, 1335-b) ; Peter Singer, Questions d'éthique pratique, trad. par Max Marcuzzi, Paris, Bayard Éditions, 1997 aux pp.94, 169 et 343.

[28]          Charles Taylor, Les sources du moi : la formation de l’identité moderne, trad. par Charlotte Melançon, Montréal, Les Éditions du Boréal, 1998 à la p.96.

[29]          Herbert Spiegelberg, « Human Dignity : A Challenge to contemporary philosophy » (1971) 9:1 World Futures 39 à la p.42 ; Daryl Pullman, « Universalism, particularism and the ethics of dignity » (2001) 7:3 Christian Bioethics 333 à la p.337.

[30]          Herbert Spiegelberg, « Human Dignity : A Challenge to contemporary philosophy » (1971) 9:1 World Futures 39 à la p.43 ; Daryl Pullman, Human dignity and the foundations of liberalism, Doctoral thesis in philosophy unpublished, University of Waterloo, 1990 à la p.35.

[31]          Herbert Spiegelberg, « Human Dignity : A Challenge to contemporary philosophy » (1971) 9:1 World Futures 39 à la p.42 ; Anne Mette Maria Lebech, The identification of human dignity : hermeneutic, eidetic and constitutional analyses in the light of Edith Stein's phenomenology, Doctoral thesis in philosophy published, Katholieke Universiteit Leuven, 2005 à la p.18.

[32]          Teresa Iglesias, « Bedrock truths and the dignity of the individual » (2001) 4:1 LOGOS 114 à la p.120.

[33]          Peter Augustine Lawler, « The human dignity conspiracy » (2009) The intercollegiate review 40 à la p.41 ; Herbert Spiegelberg, « Human Dignity : A Challenge to contemporary philosophy » (1971) 9:1 World Futures 39 aux pp.55-56 ; Antoon de Baets, « A successful utopia : The doctrine of human dignity » (2007) 7 Historein: A Review of the Past and Other Stories (Athens) 71 à la p.71 ; Adam Schulman, « Bioethics and the questions of human dignity » in The President's Council on Bioethics, Human Dignity and Bioethics, Washington DC, 2008 à la p.7.

[34]                Herbert Spiegelberg, « Human Dignity : A Challenge to contemporary philosophy » (1971) 9:1 World Futures 39 aux pp.55-56 ; Antoon de Baets, « A successful utopia : The doctrine of human dignity » (2007) 7 Historein: A Review of the Past and Other Stories (Athens) 71 à la p.71 ; Adam Schulman, « Bioethics and the questions of human dignity » in The President's Council on Bioethics, Human Dignity and Bioethics, Washington DC, 2008 à la p.7. Mais selon Jeremy Waldron, la notion de « dignité humaine » réfère également au rang. Il soutient que le rang élevé qui était jadis accordé à quelques-uns par l'usage de la notion de « dignité » est, par l'usage de la notion de « dignité humaine », désormais accordé à tous les êtres humains : Jeremy Waldron, « Lecture 1: Dignity and rank », The Tanner lectures on human values, University of California (Berkeley), April 2009 aux pp.28- ; Jeremy Waldron, « Lecture 2: Law, dignity and self-control », The Tanner lectures on human values, University of California (Berkeley), April 2009 à la p.29. Au soutien de la thèse de Waldron voir : John Locke, Of Civil Government : The Second Treatise, Rockville, Wildside Press, 2008 aux pp.2-3 (chap II, 4) ; John Locke, Traité du gouvernement civil, trad. par David Mazel, Paris, Flammarion, 1984 à la p.173 (chap.II, 4).

[35]          Herbert Spiegelberg, « Human Dignity : A Challenge to contemporary philosophy » (1971) 9:1 World Futures 39 à la p.56.

vendredi 7 février 2014

L’euthanasie est un meurtre

NB : Les opinions émises dans ce blog sont personnelles et celles-ci ne représentent pas le point de vue de mon employeur.                              
    « Il ne saurait y avoir d’autorité contre les lois » (John Locke)
« La loi prime » 
(Lac d’Amiante du Québec Ltée c. 2858-0702 Québec Inc.,  
[2001] 2 R.C.S. 743 au para.37, juge Lebel (pour la Cour))

"l’ancienne maxime latine nullum crimen sine lege, nulla poena sine legeil n’y a de crime ou de peine qu’en conformité avec une loi qui est certaine, sans ambiguïté et non rétroactive"
(R. c. Levkovic, 2013 CSC 25, [2013] 2 R.C.S. 204 au para.2, j. Fish (pour la Cour))



Certains sont d’avis que "l’euthanasie n’est pas un meurtre".

J’estime, au contraire, que l’euthanasie est un meurtre dans l’état actuel du droit. Dans mon mémoire de maîtrise en droit de la santé de l’Université de Sherbrooke, je mentionnais que l’euthanasie est punissable sous le chef d’accusation de meurtre.

Source : Éric Folot, Étude comparative France-Québec sur les décisions de fin de vie : le droit sous le regard de l’éthique, Collection Minerve, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2012 aux pp.82-83.

Considérant l’importance du sujet pour la protection du public, qui doit pouvoir savoir ce qui constitue une infraction criminelle afin de régler sa conduite en conséquence (principe fondamental de sécurité juridique), j’estime qu’il est mon devoir comme officier de justice (article 2 de la Loi sur le Barreau) de soutenir le respect de la loi (article 2.01 du Code de déontologie des avocats) et d’informer adéquatement la population de l’état actuel du droit concernant l’euthanasie. La Cour suprême du Canada affirme :
« On ne saurait trop insister sur le rôle essentiel que l’avocat est appelé à jouer dans notre société. L’avocat est un officier de justice. Par son serment d’office, il affirme solennellement qu’il remplira les devoirs de sa profession avec honnêteté, fidélité et justice et qu’il se conformera aux diverses dispositions législatives qui régissent son exercice (…) En vertu de l’art. 2.06 de son Code de déontologie des avocats, il a le devoir de servir la justice et de soutenir l’autorité des tribunaux. Il doit donc s’acquitter de ses obligations professionnelles avec intégrité et préserver l’impartialité et l’indépendance du tribunal ».

Source : Fortin c. Chrétien, 2001 CSC 45, [2001] 2 RCS 500 au para.49, j. Gonthier (pour la Cour).

Ce devoir d’informer adéquatement la population de l’état actuel du droit concernant l’euthanasie est d'autant plus important qu'en vertu de l'article 19 du Code criminel, « nul n'est censé ignorer la loi » (R. c. McIntosh, [1995] 1 RCS 686 au para.38). La Commission de réforme du droit du Canada précise que
« La règle de droit, surtout en matière de droit criminel, doit aussi avoir un certain degré de prévisibilité dans son application. Il est normal qu’une personne puisse raisonnablement prédire l’interprétation que donneraient les tribunaux aux règles générales contenues au Code criminel et qui règlent sa conduite dans la société ».
Source : Canada, Commission de réforme du droit du Canada, Euthanasie, aide au suicide et interruption de traitement, Document de travail 28, Ottawa, Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1982 à la p.9. Voir aussi R. c. Labaye, 2005 CSC 80 au para.2, j. McLachlin (pour la majorité).

Afin d’étayer ma position, 1) je procéderai méthodiquement en suivant la hiérarchie des sources du droit (Loi-jurisprudence-doctrine) en commençant avec la loi qui est la première et la principale source du droit criminel et 2) je démontrerai ensuite que l’absence de poursuite ou de condamnation pour meurtre ne permet pas logiquement et juridiquement de conclure que l’euthanasie n’est pas un meurtre en droit.

Les sources du droit

Loi

Le Code criminel n’est pas une loi comme les autres. En plus d’être une loi d’ordre public de direction, il constitue en soi un « code des valeurs fondamentales de notre société ». Par conséquent, « la conduite du contrevenant doit être punie parce qu’elle a porté atteinte au code des valeurs fondamentales de notre société qui sont constatées dans notre droit pénal substantiel ».

Source : R. c. Latimer, 2001 CSC 1 au para.86 (la Cour) ; R. c. M. (C.A.), [1996] 1 RCS 500 au para.81, j. Lamer (pour la Cour).

L’article 229 du Code criminel définit l’infraction de meurtre ainsi :

« L’homicide coupable est un meurtre dans l’un ou l’autre des cas suivants : a) la personne qui cause la mort d’un être humain : (i) ou bien a l’intention de causer sa mort,(...) ».

Selon la Cour suprême du Canada, l'exigence de l'intention (mens rea) dans le cas d'un meurtre au  

deuxième degré est la « la prévision subjective de la mort, qui représente le plus sérieux niveau de culpabilité 

morale ».

Source : R. c. Latimer, 2001 CSC 1 au para.82 (la Cour);R. c. Nette, 2001 CSC 78 aux paras.47 et 87,

j. l'Heureux-Dubé et Arbour (pour tous les juges).

Or l’euthanasie se définit, selon le Barreau du Québec (2010), comme « un acte qui consiste à provoquer intentionnellement la mort d’autrui pour mettre fin à ses souffrances ». 

Source : Barreau du Québec, Pour des soins de fin de vie respectueux des personnes, Mémoire présenté à la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, septembre 2010 à la p.8.

Cette définition de l’euthanasie satisfait aux deux éléments de l’infraction de meurtre prévue à l’article 229 du Code criminel à savoir une personne qui cause la mort d’un être humain (actus reus) avec l’intention de causer sa mort (mens rea). 

Les mobiles ayant incité à poser le geste (par exemple la compassion pour les douleurs ou souffrances de la personne), aussi louables soient-ils, ne suppriment pas l’intention et ne peuvent servir à s’exonérer de sa responsabilité criminelle.

Source : R. c. Lewis, [1979] 2 R.C.S. 821 ; R. c. Latimer, 2001 CSC 1 au para.82 (la Cour).

Même l’euthanasie volontaire (avec le consentement du patient apte) est un meurtre. En effet, le consentement de la personne euthanasiée est sans incidence sur la qualification criminelle de l’acte et sur la responsabilité criminelle de l’auteur. L’article 14 du Code criminel dispose :
"Nul n’a le droit de consentir à ce que la mort lui soit infligée, et un tel consentement n’atteint pas la responsabilité pénale d’une personne par qui la mort peut être infligée à celui qui a donné ce consentement".
Dans l’arrêt R c. Jobidon (1991), la Cour suprême du Canada affirme que « l’article 14 exclut d’une manière absolue le consentement à la mort, et ce, dans tous les cas ». Elle ajoute : « l’autonomie n’est pas la seule valeur que notre droit cherche à protéger ».

Source : R. c. Jobidon, 1991 2 R.C.S. 714. Voir aussi Canada, Commission de réforme du droit du Canada, Euthanasie, aide au suicide et interruption de traitement, Document de travail 28, Ottawa, Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1982 à la p.21.

Jurisprudence

En octobre 1993, Robert Latimer tue sa fille Tracy, atteinte de paralysie cérébrale grave, par intoxification au monoxyde de carbone pour mettre fin à ses souffrances. En effet, aux dires de la Cour suprême, celle-ci « souffre énormément, et sa douleur ne peut pas être soulagée par les médicaments ». L’acte consistait à provoquer intentionnellement la mort de sa fille pour mettre fin à ses souffrances ce qui correspond parfaitement à la définition d’euthanasie susmentionnée.

Source : L'acte posé par Latimer était une euthanasie : Groupe d’experts de la Société royale du Canada, Prise de décisions en fin de vie, La Société royale du Canada, novembre 2011 à la p.42 (voir note 167) ; Trudo Lemmens and Bernard Dickens, « Canadian law on euthanasia : contrasts and comparisons” (2001) 8 European Journal of Health Law 135 ; Julia Nicol, Marlisa Tiedemann et Dominique Valiquet, Étude générale : L’euthanasie et l’aide au suicide au Canada, Division des affaires juridiques et législatives, Service d’information et de recherche parlementaires, Bibliothèque du Parlement, 3 décembre 2010 à la p.5, en ligne : http://publications.gc.ca/collections/collection_2010/bdp-lop/bp/2010-68-fra.pdf

M. Latimer fut déclaré coupable de meurtre au deuxième degré en première instance et la Cour suprême du Canada a confirmé cette déclaration de culpabilité. La Cour précise que « les plus graves conséquences possible ont découlé d’un acte dont l’intentionnalité est la plus grave et la plus moralement coupable ». La Cour envoie également un message clair et fort à toute personne désirant commettre une euthanasie : « enlever la vie d’une autre personne est le crime le plus grave en droit criminel ».

Source : R. c. Latimer, 2001 CSC 1 aux paras.5, 71 et 84 (la Cour).

Doctrine

En 1982, la Commission de réforme du droit du Canada affirmait :
« Le droit canadien, comme d’ailleurs la plupart des autres systèmes juridiques, prohibe donc l’euthanasie active ou positive, la considérant comme un meurtre pur et simple » (nos caractères gras).
Source : Canada, Commission de réforme du droit du Canada, Euthanasie, aide au suicide et interruption de traitement, Document de travail 28, Ottawa, Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1982 à la p.21.

En 1995, le Comité sénatorial spécial sur l’euthanasie et l’aide au suicide affirmait :
« Aux termes du Code criminel, toute forme d'euthanasie est illégale au Canada; c'est également le cas dans les autres pays. Les actes d'euthanasie constituent un meurtre au premier degré ou au deuxième degré au Canada, bien qu'ils puissent faire l'objet de poursuites sous des chefs d'accusation autres que le meurtre et que cela se soit effectivement produit » (nos caractères gras).
Source : Canada, Sénat du Canada, De la vie et de la mort, Rapport du Comité sénatorial spécial sur l’euthanasie et l’aide au suicide, Ottawa, Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1995en ligne : http://www.parl.gc.ca/content/sen/committee/351/euth/rep/lad-f.htm
 
En 1995, Me Jean-Louis Baudouin, ancien juge de la Cour d’appel du Québec, affirmait :

« Jusqu’ici le législateur canadien prohibe l’euthanasie et la traite comme un meurtre au premier degré puisqu’il y a mort, intention de causer la mort et préméditation » (nos caractères gras).

Source : Jean-Louis Baudouin, « Chronique – Situation légale et jurisprudentielle entourant les volontés de 

fin de vie » (1995) Repères.

En 2010, le Barreau du Québec affirmait :
"Nous ne traiterons pas de la question énoncée par la Commission de « l’aide à mourir », puisque celle-ci ne correspond à aucun concept juridique distinct. Cette notion est contenue dans les concepts d’euthanasie et d’aide au suicide. Le terme « euthanasie » n’existe pas en droit. Il ne correspond à aucun concept juridique particulier. Par contre, la Commission le définit comme « un acte qui consiste à provoquer intentionnellement la mort d’autrui pour mettre fin à ses souffrances ». De ce fait, les dispositions du Code criminel sur l’homicide, soit le fait de causer la mort d’une autre personne, peuvent inclure ce concept" (nos caractères gras). 

Source : Barreau du Québec, Pour des soins de fin de vie respectueux des personnes, Mémoire présenté à la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, septembre 2010 à la p.8.

En 2011, le groupe d’experts de la Société royale du Canada affirmait  :
« L’euthanasie volontaire, tout comme l’aide au suicide, est nettement illégale au Canada. 
Elle est interdite en vertu de l’article 229 du Code criminel. La question du motif importe
peu et celle du consentement (de la personne ou du fondé de pouvoir) ne peut servir de
motif de défense (…) Quiconque commet une euthanasie volontaire pourrait être reconnu coupable de meurtre au premier degré ou au second degré (…) Comme dans le cas de l’aide au suicide, la loi est claire en matière d’euthanasie volontaire  » (nos caractères gras).
Source : Groupe d’experts de la Société royale du Canada, Prise de décisions en fin de vie, La Société royale du Canada, novembre 2011 à la p.42.

Voir également Margaret Somerville (2001), Jocelyn Grant Downie (2004), Jean-Claude Hébert (2006), Pierre Deschamps (2006), Patrice Garant (2009), Danielle Chalifoux (1998 et 2010), la Commission de l’éthique, de la science et de la technologie (2010), le Comité national d’éthique sur le vieillissement et les changements démographiques (2010) et Julia Nicol, Marlisa Tiedemann et Dominique Valiquet, Étude générale : L’euthanasie et l’aide au suicide au Canada, Division des affaires juridiques et législatives, Service d’information et de recherche parlementaires, Bibliothèque du Parlement, 3 décembre 2010 à la p.5, en ligne : http://publications.gc.ca/collections/collection_2010/bdp-lop/bp/2010-68-fra.pdf

L’absence de poursuite ou de condamnation pour meurtre ne permet pas logiquement et juridiquement de conclure que l’euthanasie n’est pas un meurtre en droit

Il faut distinguer entre les prescriptions de la loi (le droit ou de jure) de son application ou de son inapplication dans les faits par les tribunaux (les faits ou de facto. Jocelyn Grant Downie affirme avec raison :
In theory, euthanasia constitutes first or second degree murder. In practice, however, it is almost always dealt with as administering a noxious thing or manslaughter. The Criminal Code is being tempered by the exercise of prosecutorial discretion. Euthanasia is de jure murder but de facto a considerably less serious crime”(nos caractères gras).
Source : Jocelyn Grant Downie, Dying Justice: A Case for Decriminalizing Euthanasia and Assisted Suicide in Canada, Toronto, University of Toronto Press, 2004à la p.38.

Plusieurs raisons peuvent expliquer l’écart entre les prescriptions de la loi et son application : l’absence de poursuite, le manque de preuves, l’accusé peut plaider coupable à des accusations réduites (par exemple au chef d’accusation reprochant d’avoir administrer une substance délétère). De même, un jury peut refuser d’appliquer la loi. La Cour suprême du Canada affirme à cet égard :
« Il est établi depuis longtemps en droit criminel anglo canadien que, dans un procès devant un juge et un jury, le rôle du juge consiste à dire le droit et celui du jury à appliquer ce droit aux faits de l'espèce (…) Certes, il est vrai que le jury jouit de facto du pouvoir de ne pas tenir compte des règles de droit que lui dicte le juge. Nous ne pouvons pénétrer dans la salle des délibérations du jury. Le jury n'a jamais à expliquer les raisons qui sous tendent son verdict (…) Mais reconnaître ce fait est très loin de suggérer qu'un avocat peut encourager un jury à méconnaître une loi qui ne lui plaît pas ou à lui dire qu'il a le droit de le faire. ».
Source : R. c. Morgentaler, [1988] 1 RCS 30 aux paras.59 et 61, j. Dickson et Lamer.

Dans l’arrêt R c. Latimer (2001), la Cour suprême du Canada précise ce pouvoir très exceptionnel du jury de refuser d’appliquer la loi :
« L’expression « annulation par le jury » vise la situation rare où le jury choisit en connaissance de cause de ne pas appliquer la loi et acquitte le défendeur malgré la force de la preuve qui pèse contre lui. L’annulation par le jury est un concept inusité en droit criminel, car elle reconnaît effectivement qu’il peut arriver que le jury décide,  dans de très rares cas, de ne pas appliquer la loi.  Cela semble s’expliquer par le fait qu’une loi sévère ou l’application sévère d’une loi engendre parfois de l’oppression".
SourceR. c. Latimer aux paras.57-58,68. 

Cependant, bien que l’annulation de l’effet de la loi par le jury soit possible, elle est, selon la Cour suprême, contraire ou « antinomique au droit ».

Source : Jean-Claude Hébert, « Le jury : un canard boiteux ? » (2003) Revue du Barreau à la p.331.

Selon le Barreau du Québec et le Comité de juristes experts, l’absence dans les faits de condamnation pour meurtre ne signifie pas que l’euthanasie n’est pas en droit un meurtre et n’exclut donc pas la possibilité de futures condamnations pour meurtre :
« En général, les rares cas où les médecins ont été poursuivis, soit pour avoir pratiqué l’euthanasie, soit pour avoir aidé leur patient à se suicider, révèlent une attitude extrêmement favorable des jurys à leur égard. Par contre, le fait que le processus judiciaire a, jusqu’à ce jour, été très favorable aux médecins ne signifie pas pour autant qu’un médecin ne puisse plus faire l’objet de poursuite criminelle pour meurtre ou aide au suicide en cas de décès de son patient. En effet, il existe tout de même des cas où les règles du droit criminel ont été appliquées de façon plus rigoureuse ».
Source : Barreau du Québec, Pour des soins de fin de vie respectueux des personnes, Mémoire présenté à la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, septembre 2010 à la p.22 ; Comité de juristes experts, Mettre en œuvre les recommandations de la Commission spéciale de l’Assemblée nationale sur la question de mourir dans la dignité, janvier 2013 à la p.34.


Eric Folot, avocat et bioéthicien 


NB : L'aide médicale a mourir est de l'euthanasie selon le Barreau du Québec (2010), la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité (2012), le comité de juristes experts (2013) et la Procureure générale du Québec (2014)

Le Barreau du Québec affirmait en 2010 :
"Nous ne traiterons pas de la question énoncée par la Commission de « l’aide à mourir », puisque celle-ci ne correspond à aucun concept juridique distinct. Cette notion est contenue dans les concepts d’euthanasie et d’aide au suicide".
Source : Barreau du Québec, Pour des soins de fin de vie respectueux des personnes, Mémoire présenté à la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, septembre 2010 à la p.8.

Dans son rapport de mars 2012, la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité affirmait
"Le Collège des médecins a conclu qu’il « existe des situations exceptionnelles, des douleurs incoercibles ou une souffrance interminable, par exemple, où l’euthanasie pourrait être considérée comme l’étape ultime, nécessaire pour assurer jusqu’à la fin des soins de qualité ». Cette approche innovatrice, fruit d’un travail de réflexion de plus de trois ans, délaisse le terrain habituel du débat sur la légalisation de l’euthanasie pour le replacer dans le contexte des soins appropriés de fin de vie. C’est d’ailleurs en ces termes, selon le Collège, que se présente le problème entre le médecin et son patient. (...) D’après des témoins, la raison d’être de la médecine est incompatible avec l’euthanasie. Envisager celle-ci comme un soin constitue tout simplement une aberration, puisque abréger la vie ne peut être synonyme de soulager ou de soigner. Nous comprenons cette opinion, mais nous estimons que l’euthanasie est pratiquée dans un souci de compassion et comme moyen ultime pour soulager, à sa demande, un patient de ses souffrances insupportables et constantes, lorsque tous les autres moyens qu’il juge acceptables se sont avérés insuffisants. Ainsi, l’euthanasie pourrait bel et bien faire partie du continuum de soins de fin de vie".
Source : Québec, Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité, Rapport, mars 2012 aux pp.60-61.
Le comité de juristes experts affirmait en 2013 :
"Nous utilisons l’expression « aide médicale à mourir » pour inclure à la fois les concepts d’euthanasie et d’aide au suicide, dans le contexte exclusif d’une relation patient médecin".
Source : Comité de juristes experts, Mettre en œuvre les recommandations de la Commission spéciale de l’Assemblée nationale sur la question de mourir dans la dignité, janvier 2013 à la p.7.

Dans son mémoire à la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Lee Carter, et al. c. Procureur général du Canada, et al (2014), la Procureure générale du Québec affirmait :
"En premier lieu, la Procureure générale du Québec note que l'expression « aide médicale à mourir », en raison des dispositions contestées dans le présent pourvoi, fait généralement référence aux pratiques, dans un contexte médical, du suicide assisté et de
l'euthanasie volontaire".
Source : Mémoire de la Procureure générale du Québec devant la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Lee Carter, et al. c. Procureur général du Canada, et al, dossier 35591, 1er août 2014 à la p.2, en ligne : http://www.scc-csc.gc.ca/factums-memoires/35591/FM040_Intervener_Attorney-General-of-Quebec.pdf

Eric Folot, avocat et bioéthicien