dimanche 13 octobre 2013

La déchéance de la nationalité française : une atteinte aux libertés et aux droits fondamentaux selon les experts ?

Éric Folot
Tribune libre 
samedi 14 août 2010      


Certains experts du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale de l’Organisation des Nations Unies (CERD) se prononcent : « Les experts s’indignent aussi des déclarations de Nicolas Sarkozy et de Brice Hortefeux sur la possibilité de déchoir de sa nationalité un citoyen naturalisé si ce dernier est condamné pour le meurtre d’un policier, pour polygamie ou excision. Gun Kut, expert turc, déclare ne pas comprendre « ce qu’est un Français d’origine étrangère : je me demande si cela est compatible avec la constitution ». Pointant du doigt la montée du racisme en France, le rapporteur de la session, l’Américain Pierre-Richard Prosper, rappelle à la France son rôle moteur dans la défense de la liberté et des droits de l’homme, soulignant qu’il y avait aujourd’hui une contradiction avec l’image du pays à travers le monde et la réalité. « Il y a un manque de volonté politique pour changer tout cela », ajoute-t-il. Par ailleurs, l’expert togolais Ewomsan Kokou constate ainsi que la France est confrontée à une « recrudescence notable du racisme et de la xénophobie », malgré de nombreux instruments légaux ». Source

En France, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) affirme le 9 août 2010 : « La CNCDH est très préoccupée par la succession de déclarations officielles de caractère discriminatoire à l’encontre des gens du voyage, des Roms, des « Français d’origine étrangère » ou encore des mineurs délinquants et de leurs parents (…) Dans le droit fil de son avis du 10 juillet 2010, la CNCDH souligne que l’élargissement des cas dans lesquels une personne serait déchue de sa nationalité introduit une distinction entre les citoyens, ce qui est contraire au principe d’égalité. Cette mesure resterait par ailleurs purement symbolique. Elle n’aurait de plus aucun effet dissuasif et renforcerait de surcroît l’incertitude quant à l’appartenance à la nation de ceux qui ont acquis la nationalité française. Enfin, on ne peut que s’inquiéter de l’annonce de la suppression de l’automaticité de l’acquisition de la nationalité française, à leur majorité, pour des mineurs nés en France qui auraient été condamnés et de la proposition de loi relative à la responsabilité pénale des parents qui n’auront pas su faire respecter les obligations auxquelles leurs enfants condamnés auront été soumis. Face à ces déclarations « de guerre nationale contre la délinquance », un renforcement des mesures préventives et éducatives accompagnées de moyens humains et financiers semble plus approprié dans un Etat de droit, conciliant liberté personnelle et sécurité juridique et récusant toute forme de discrimination individuelle ou collective ».Source

Robert Badinter, ancien Garde des Sceaux et ancien Président du Conseil Constitutionnel en France affirme : « L’article premier de la Constitution dit que (...) la France assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine », qu’ils soient français de souche ou d’origine étrangère, a martelé ce lundi sur France inter Robert Badinter, l’ancien Garde des Sceaux socialiste. En voulant sanctionner d’une certaine manière une catégorie de Français - ceux d’origine étrangère - le chef de l’Etat « veut faire des discriminations contre les Français au regard de mêmes crimes, de même infractions, selon l’origine de la personne, selon les modalités d’acquisition de la nationalité française », a insisté le socialiste. « C’est contraire à l’esprit républicain », a-t-il résumé ». Source

« Laurent Bedouet, secrétaire général de l’Union Syndicale des Magistrats (majoritaire), prend l’exemple de la condamnation pénale des parents de mineurs délinquants qui ne se soumettraient pas aux sanctions. « Personne ne peut être condamné pour une infraction commise par quelqu’un d’autre, c’est contraire à la Constitution ». Source

Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel à l’université Montpellier-I affirme également : « On reproche parfois à la constitution d’être floue, mais, dans ce cas, il n’y a absolument aucune ambiguïté. Je suis catégorique : la seule manière de faire rentrer dans le droit le discours de Nicolas Sarkozy à Grenoble est de remettre en cause le principe de l’égalité de tous les Français devant la loi, sans aucune distinction de leur origine, ce qui reviendrait à supprimer ou à modifier l’article 1 de la Constitution. J’insiste, car cet article est absolument incontournable, et la proposition de Nicolas Sarkozy s’y heurte directement. En France, on ne fait pas la distinction entre quelqu’un qui a acquis la nationalité française et quelqu’un qui l’est de naissance (...) Priver une personne de sa nationalité, c’est comme la priver de son nom. C’est impossible. Ça touche à l’intime. Et ce qui est grave, c’est que la déchéance de nationalité est ici utilisée comme un instrument de politique pénale. Or le nom et la nationalité sont inscrits dans la constitution d’une personne. Et c’est grave également du point de vue du droit international : on ne rend pas quelqu’un apatride. Ce n’est pas la première fois que Nicolas Sarkozy bouscule un grand principe constitutionnel issu de 1789 : il l’avait déjà fait avec la présomption d’innocence, la non-rétroactivité des lois avec la loi sur la rétention de sûreté... Ce sont des piliers de la maison France. François Fillon lui-même a déclaré à propos du voile intégral qu’il fallait prendre "le risque de l’inconstitutionnalité". Mais je ne suis pas inquiet, car le Conseil constitutionnel joue en ce moment pleinement son rôle de gardien des grands principes qui fondent le contrat républicain. On l’a vu dernièrement avec les modifications de la loi sur les gardes à vue. Alors, difficile de savoir quelles sont les intentions réelles du gouvernement : remplacer les principes de 1789 par d’autres principes ? Mais lesquels ? Sinon, c’est un effet d’annonce... ». Source

Guy Carcassonne, professeur de droit public à l’université de Paris-X-Nanterre, affirme également : « La nationalité, cela fait partie intégrante de l’identité même de n’importe quel individu, au même titre que son corps, que son nom, que ses sentiments ou ses convictions, tout ce qui fait son intimité. L’en priver, ce serait porter atteinte à son intégrité, une forme d’amputation. Même un mauvais citoyen reste un citoyen. On peut le priver de sa liberté, mais pas de sa personnalité, dont la nationalité fait partie ». Source

La ligue des droits de l’homme (LDH) en France parle de « xénophobie avérée ». Elle affirme : « Ce ne sont pas les délinquants que Nicolas Sarkozy poursuit, ce sont les Français d’origine étrangère et les étrangers, qu’il désigne comme les boucs émissaires de tous nos maux. Ce qui est ici en cause, ce n’est plus le débat légitime en démocratie sur la manière d’assurer la sûreté républicaine, c’est l’expression d’une xénophobie avérée. Quelle que soit la légitimité que confère l’élection, aucun responsable politique ne détient le mandat de fouler aux pieds les principes les plus élémentaires de la République, et de désigner à la vindicte des millions de personnes ». Source

Le philosophe Bernard-Henri Lévy affirme que la proposition de Sarkozy « contreviendrait de manière frontale à un axiome trois fois sacré car inscrit dans le triple marbre des trois textes fondateurs de notre vivre ensemble républicain : le programme du Conseil national de la Résistance du 15 mars 1944, la Déclaration des droits de l’homme de 1948, la Constitution de 1958. Il postule, cet axiome, l’"égalité devant la loi" (quelle que soit, précisément, leur "origine") de tous les citoyens. Il dit qu’on est Français ou qu’on ne l’est pas – mais qu’à partir du moment où on l’est, on l’est tous de la même manière. Il insiste : on devient Français ou on ne le devient pas – mais, dès lors qu’on l’est devenu, il est interdit de distinguer entre Français plus ou moins français. On peut discuter, en d’autres termes, des conditions qui permettent d’accéder à l’être-Français ; on peut les multiplier, les affiner, les durcir, les solenniser : mais que l’on laisse s’insinuer l’ombre de l’idée qu’il y aurait deux classes de Français selon qu’ils sont nés Français ou qu’ils le sont seulement devenus, que l’on se laisse aller à imaginer un ordre des choses où il y aurait les Français à l’essai et les Français pour toujours, les Français en sursis et les Français sans débat, les Français qui restent Français même s’ils commettent des actes de délinquance et ceux qui cessent de l’être parce qu’ils ne l’étaient, au fond, qu’à demi, voilà qui, si la France est la France, n’est tout simplement pas concevable. Question de principe ». Source

Patrick Weil, historien et spécialiste des questions d’immigration, affirme : « "Nicolas Sarkozy fait perdre à la droite républicaine ses valeurs". "Il n’est pas besoin de ce point de vue de se référer à Vichy, poursuit-il. De 1977 à 1980, Valéry Giscard d’Estaing avait voulu renvoyer la majorité des immigrés maghrébins en situation régulière. Il s’était heurté aux gaullistes et aux chrétiens démocrates de sa majorité qui ont osé l’affronter." » Source

Pour une allusion aux propos nazis, voir les propos du député socialiste Michel Rocard à cette adresse :




Au sujet de l’incitation à la haine raciale, la journaliste Nabila Ramdani (journaliste au Guardian) affirme : « There is no doubt that the man currently under greatest suspicion for inciting racial hatred and intimidation is President Nicolas Sarkozy himself ». Source

Éric Folot
Avocat et bioéthicien

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