NB : Les opinions émises dans ce blog sont personnelles et celles-ci ne représentent pas le point de vue de mon employeur.
Le terme « euthanasie » a une histoire chargée. Voici un bref rappel :
Au début du 20e siècle, aux États-Unis, l’influence du mouvement
eugéniste américain était très grande. En 1912, le « Committee on
sterilization and other means for eliminating defective strains from
human population » publia un rapport. Ce rapport proposa notamment la
stérilisation forcée (à la p.464 au point #2) et l’euthanasie
involontaire (à la p.464 au point #8) comme solutions envisageables pour
éliminer les êtres humains indésirables ("PEOPLE DEEMED UNWORTHY OF
LIFE") ce qui inclut les faibles d’esprit, les pauvres, les criminels,
les handicapés physiques et mentaux... etc. Voici ce qu’en dit Edwin
Black :
« Of course euthanasia was merely a euphemism - actually a misnomer. Eugenicists did not see euthanasia as a "merciful killing" of those in pain, but rather a "painless killing" of PEOPLE DEEMED UNWORTHY OF LIFE. The method most whispered about, and publicly denied, but never out of mind, was a "lethal chamber" » (Edwin Black, p.247).
Mais le comité qui rédigea le rapport énoncé ci-haut jugea que la
population américaine n’était pas prête à accepter l’euthanasie
involontaire et recommanda plutôt la stérilisation forcée (Edwin Black,
p.60).
Sources :
Le
rapport susmentionné : Bleeker Van Wagenen, Preliminary Report of the
Committee of the Eugenic Section of the American Breeders Association to
Study and to Report on the Best Practical Means for Cutting Off the
Defective Germ-Plasm in the Human Population, The eugenics education
society, 1912 à la p.464 ; disponible en ligne : http://digitalarchive.gsu.edu/col_f...)
Edwin
Black, War Against the Weak : Eugenics and America’s Campaign to Create
a Master Race, New York, Four Walls Eight Windows, 2003 aux pp.60 et
247.
Par voie de conséquence, des lois sur la stérilisation forcée des
« arriérés mentaux » ont été adoptées dans plus de trente États
américains. Voici ce qu’en dit la Cour suprême du Canada :
« Plus de trente états ont adopté des lois prévoyant la stérilisation obligatoire des arriérés mentaux (..) La constitutionnalité de ces lois a été contestée devant la Cour suprême des États-Unis dans l’arrêt de principe Buck v. Bell, 274 U.S. 200 (1927) [...] La Cour, à la majorité, a autorisé la stérilisation de celle-ci malgré les prétentions selon lesquelles une telle attitude violait l’application régulière de la loi quant au fond et quant à la forme ainsi que la protection égale des droits des handicapés. Cet arrêt a constitué le sommet de la théorie eugénique comme l’atteste le jugement frappant du juge Holmes. Il donne le ton à la p. 207 : [TRADUCTION]
Nous avons vu plus d’une fois que le bien-être public peut demander aux meilleurs citoyens de donner leurs vies. Il serait étrange qu’on ne puisse pas demander à ceux qui minent déjà la force de l’état de faire ces sacrifices moins importants, qui souvent ne sont pas perçus comme tels par ceux qui sont visés, pour faire en sorte que l’on ne soit pas submergés par l’incompétence. Il est mieux pour tout le monde si, au lieu d’attendre d’exécuter la progéniture dégénérée pour des crimes ou de les laisser souffrir de la faim en raison de leur imbécillité, la société peut empêcher ceux qui sont manifestement déficients de se reproduire. Le principe sur lequel se fonde la vaccination obligatoire est suffisamment général pour permettre de couper les trompes de Fallope. [...] Trois générations d’imbéciles, c’est suffisant ».
Sources :
L’arrêt de la Cour suprême du Canada : E.(Mme) c. Eve, [1986] 2 R.C.S. 388 aux paras.56-57.
Voir
aussi Edwin Black, War Against the Weak : Eugenics and America’s
Campaign to Create a Master Race, New York, Four Walls Eight Windows,
2003 aux pp.xv-xvi.
NB : Au Canada, « Deux provinces, l’Alberta et la
Colombie-Britannique, ont déjà eu des lois prévoyant la stérilisation
des déficients mentaux (...) ».
Source :
E.(Mme) c. Eve, [1986] 2 R.C.S. 388 au para.78.
La stérilisation forcée s’est poursuivie aux États-Unis plusieurs
décades après le procès de Nuremberg (1945-1946) intenté contre les
chefs nazis pour crimes contre l’humanité. Edwin Black affirme : « For
decades after Nuremberg labeled eugenic methods genocide and crime
against humanity, America continued to forcibly sterilize and prohibit
eugenically undesirable marriages ».
Source :
Edwin
Black, War Against the Weak : Eugenics and America’s Campaign to Create
a Master Race, New York, Four Walls Eight Windows, 2003 à la p.xvii.
Plusieurs institutions de prestige contribuèrent au mouvement
eugénique. Edwin Black mentionne notamment : « the Carnegie Institution,
the Rockfeller Foundation, the Harriman railroad fortune, Harvard
University, Princeton University, Yale University, Stanford University
(...) ».
Source :
Edwin
Black, War Against the Weak : Eugenics and America’s Campaign to Create
a Master Race, New York, Four Walls Eight Windows, 2003 aux
pp.xxi-xxii.
Le mouvement eugénique américain influença fortement Adolf Hitler. Voici ce qu’en dit Edwin Black :
« The movement was called eugenics. It was conceived at the onset of the twentieth century and implemented by America’s wealthiest, most powerful and most learned men against the nation’s most vulnerable and helpless. Eugenicists sought to methodically terminate all the racial and ethnic groups, and social classes, they disliked or feared. It was nothing less than America’s legalized campaign to breed a super race - and not just any super race. Eugenicists wanted a purely Germanic and Nordic super race, enjoying biological dominion over all others. Nor was America’s crusade a mere domestic crime. Using the power of money, prestige and international academic exchanges, American eugenicists exported their philosophy to nations throughout the world, including Germany. Decades after a eugenics campaign of mass sterilization and involuntary incarceration of "defectives" was institutionalized in the United States, the American effort to create a super Nordic race came to the attention of Adolf Hitler ».
Source :
Edwin
Black, War Against the Weak : Eugenics and America’s Campaign to Create
a Master Race, New York, Four Walls Eight Windows, 2003 à la p.7.
En effet, Hitler affirmait :
« Celui qui n’est pas sain, physiquement et moralement, et par conséquent N’A PAS DE VALEUR AU POINT DE VUE SOCIAL, ne doit pas perpétuer ses maux dans le corps de ses enfants [...] Si, pendant six cents ans, les individus dégénérés physiquement ou souffrant de maladies mentales étaient mis hors d’état d’engendrer, l’humanité serait délivrée de maux d’une gravité incommensurable (...) C’est une faiblesse de conserver, chez des malades incurables, la possibilité chronique de contaminer leurs semblables, encore sains. CECI CORRESPOND À UN SENTIMENT D’HUMANITÉ SELON LEQUEL ON LAISSERAIT MOURIR CENT HOMMES POUR NE PAS FAIRE MAL À UN INDIVIDU. Imposer l’impossibilité pour des avariés de reproduire des descendants avariés, c’est faire oeuvre de la plus claire raison ; c’est l’acte le plus humanitaire, lorsqu’il est appliqué méthodiquement, que l’on puisse accomplir vis-à-vis de l’humanité ».
Source :
Adolf
Hitler, Mein Kampf : mon combat, trad. par J. Gaudefroy-Demombynes et
A. Calmettes, Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1934 aux pp.254 et
402-403.
Ainsi, en Allemagne, le régime nazi a initié en septembre 1939 le
programme d’euthanasie Aktion T4 dont l’objectif était de tuer les
personnes handicapées physiques et mentales et toute personne dont on
jugeait que la vie ne valait pas ou ne valait plus la peine d’être
vécue. Plus de 200 000 personnes auraient ainsi été tuées.
Source :
Michael Berenbaum, « T4 program », en ligne : britannica.com
/www.britannica.com/EBchecked...>.
L’objectif de ce programme était donc la « SUPPRESSION DES VIES INDIGNES D’ÊTRES VÉCUES » ("NOT WORTH LIVING").
Source :
Adolf
Hitler, Mein Kampf : mon combat, trad. par J. Gaudefroy-Demombynes et
A. Calmettes, Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1934 à la p.3.
Évidemment, la Commission spéciale sur la question de mourir dans la
dignité ne recommande QU’UNE légalisation extrêmement bien encadrée de
l’euthanasie VOLONTAIRE. Il est néanmoins important de souligner que les
principaux intellectuels et partisans de la légalisation de
l’euthanasie ne limitent pas leurs écrits et leurs propos à l’euthanasie
volontaire. Par exemple, le professeur de droit Glanville
Williams,« described as Britain’s foremost scholar of criminal law » et
qui fut vice-président de la « Voluntary Euthanasia Society », était
favorable à la stérilisation eugénique forcée et affirma en 1958 :
« The author is QUITE RIGHT in thinking that a body of opinion would favour the legalization of the INVOLUNTARY euthanasia of hopelessly defective infants, and some day a proposal of this kind may be put forward. The proposal would have distinct limits, just as the proposal for voluntary euthanasia of incurable sufferers has limits ».
Sources :
Sur
le fait que Glanville Williams était favorable à la stérilisation
eugénique, voir Neil M. Gorsuch, The Future of Assisted Suicide and
Euthanasia, Princeton, Princeton University Press, 2009 à la p.39.
Pour
les propos de Glanville Williams, voir Glanville Williams,
« "Mercy-Killing" Legislation-A Rejoinder » (1958) 43:1 Minn. L Rev. 1
aux pp.11-12.
De même, les célèbres philosophes et éthiciens utilitaristes, James
Rachels et Peter Singer, qui sont parmi les intellectuels les plus
influents du mouvement en faveur de la légalisation de l’euthanasie
volontaire, sont également favorables à l’euthanasie non volontaire.
James Rachels affirme :
« The slippery-slope argument could be formulated to say, ‘If voluntary euthanasia is accepted, then we will inevitably be pushed to accepting (some forms of) non-voluntary euthanasia as well’. THIS IS PROBABLY TRUE [...] But, for all the reasons we have considered, there is nothing wrong with accepting (some forms of) non-voluntary euthanasia ».
Source :
James Rachels, The end of life : euthanasia and morality, Oxford, Oxford University Press, 1986 aux pp.179-180.
Peter Singer affirme :
« Comme nous l’avons vu, l’euthanasie est non volontaire quand le sujet n’a jamais eu la capacité de choisir de vivre ou de mourir. C’est le cas du nourrisson gravement handicapé ou d’un être humain plus âgé qui aurait un grave handicap mental depuis sa naissance (...) À bien des égards, ces êtres humains ne diffèrent pas beaucoup des nourrissons invalides. Ils ne sont ni conscients d’eux-mêmes, ni rationnels, ni autonomes. Considérer leur droit à la vie ou le respect de leur autonomie n’a pas grand sens pour eux. S’ils ne ressentaient rien du tout et ne pouvaient plus jamais rien ressentir, ils n’auraient aucune valeur intrinsèque (...) Nous avons vu qu’on peut justifier de mettre fin à la vie d’un être humain qui n’a pas la possibilité de donner son consentement ».
Source :
Peter Singer, Questions d’éthique pratique, trad. par Max Marcuzzi, Paris, Bayard Éditions, 1997 aux pp.176 185 et 187.
Eric FolotAvocat et bioéthicien
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